Lettres d'un jeune boomer

Des écrits pour les boomers d'aujourd'hui et de demain

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Par Monsieur Chatellier
27 mai · 4 mn à lire
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Là où chantent les cigales

Ou pas loin en tout cas.

Lundi 27 mai 2024
Paname, le jour d’après le début du dernier Roland Garros de qui vous savez.


Camarades,
Comment allez-vous ? Bien j’espère.

J’ai tardé à vous écrire ces quelques mots pris que j’étais dans le tourbillon des ponts, aqueducs et autres jours fériés que la France nous offre chaque année au mois de mai. Qu’il est difficile de travailler à son histoire personnelle quand on vous oblige à vous reposer, je ne vous raconte pas. Heureusement c’est aussi l’occasion pour moi de réunir de nouveaux matériaux pour de futurs textes. Par exemple, j’ai fêté un nouvel anniversaire et j’ai eu comme chaque année mon dessert préféré (la Forêt Noire si vous voulez tout savoir). C’est un beau sujet pour une prochaine chronique, non ?

Pour cette fois-ci, je vous embarque dans mon sac à dos pour une promenade musicale dans le sud de la France aux portes de l’âge adulte (qui commence après vingt-cinq ans pour les garçons, je le rappelle).

Gilles Rapaport m’a régalé de trois dessins originaux dont une frise hommage à Misou-Mizou (tu nous manques Bruno C.) et Sandrine a passé au tamis de son dictionnaire ces quelques mots que j’ai commis !
Encore et toujours, mille merci à eux deux ! 🙇‍♂️

Je vous souhaite une bonne lecture ou écoute, et tout le reste avec.

Adésias,
Monsieur Châtellier


Chronique OK Boomer

Voyage au bout de la note

Où l’on apprend que Monsieur Châtellier voyagea dans les territoires au sud des Terres du Milieu. Et comment il en est revenu.

🎧 Version audio de la chronique 🎙️

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La vie d’adulte responsable n’attendait que moi, me tendant les bras, la porte grande ouverte sur un avenir qui me verrait donner mon vote à Bayrou lors d’un futur printemps d’une élection teintée d’optimisme, en mode si tous les gars du monde. Typique de l’ensemble de ma carrière d’électeur de la République française laïque, universellement reconnue pour ses François, qu’ils soient Bayrou, Hollande ou Mitterrand. J’étais donc foutu pour l’Art avec un A si grand que je n’avais pas réussi à y grimper.

Déjà, je vivais à Paname. En quelque sorte, en visiteur, comme souvent à cette époque, j’étais hébergé par mon camarade de toujours chez qui j’occupais un canapé quand je ne passais pas mes nuits chez Celle que j’accompagnerai qui m’avait épinglé à son tableau quelques mois plus tôt. Pour payer les pâtes de mes repas et l’ivresse de mes soirées de jeune homme dans le vent, j’occupais un poste à irresponsabilité de livreur de plats chauds à scooter. Et oui, vingt ans avant que cela ne devienne à la mode chez les réfugiés du monde entier qui, on le sait, ont toujours rêvé de découvrir la plus belle ville du monde à deux roues en nourrissant les Parisiens, vissés eux aussi à un canapé.

Sur un coup de tête, je décidai de quitter Paris (mais pas Celle que j’accompagnerai hein ! on faisait juste une pause !) pour quelques temps. J’avais correspondu avec l’un de mes amis, rencontré au service militaire, ce vestige des temps passés où les garçons étaient formés à coup de rangers dans les parties charnues du bas du dos pour devenir des hommes mais c’est une autre histoire que j’ai déjà racontée il me semble (je divulgache si vous ne l’avez pas déjà lue : on s’y ennuyait beaucoup). C’était un Niçois, le seul de mes amis à venir du sud de la France si j’en crois la base de données personnelles de mon réseau amical. Il s’appelait Éric parce qu’il était né dans les années soixante-dix. Il m’avait invité, j’avais accepté. C’est une des constantes de ma vie.

Châtellier, le ton ! par l'Adjudant Chef Gilles RapaportChâtellier, le ton ! par l'Adjudant Chef Gilles Rapaport

J’avais dans l’idée de m’installer sur place et de trouver un poste sur un bateau, un cata comme ces gens-là disent, ce qui me permettrait de connaître l’ivresse de la mer, qui même si elle est salée se boit à longue rasade quand on veut devenir un homme, un vrai, ce que les coups de rangers n’avaient pas réussi à faire de toute évidence. J’imaginais que, aveuglé par mon prénom, n’importe lequel des propriétaires de ces voiliers mouillant dans le port (oui je connaissais déjà un peu le vocabulaire) me confierait la barre de son navire pour sillonner la Méditerranée, et allons-y pourquoi pas rêver plus grand, une véritable mer et pas un lac à sardines, garde-manger de la bouillabaisse de chez Fernandel sur le Vieux-Port où tout le monde il est drôle parce qu’il parle « avé l’accent ».

En véritable Jack London des Alpes maritimes, ce sont mes écrits qui me permettraient d’atteindre ce rêve-là. Ne me parlez pas de ma maîtrise de la chose maritime, ce n’est pas le sujet. Mais si vous insistez, j’avoue que j’envisageais de me mettre à fumer la pipe en écume de mer, pour parfaire mon personnage de jeune loulou de celle-ci, c’est vous dire si j’étais motivé.

Mon ami Éric était musicien, pianiste et professeur dans une école de musique de la région. Il avait un projet de conte musical pour lequel il avait besoin d’un librettiste. J’avais pu le convaincre lors de nos échanges épistolaires (on s’envoyait des lettres à cette époque) que j’étais né pour cette Grande Œuvre, qui allait marquer l’histoire du conte musical au même titre que l’Etrange Noël de Monsieur Jack, ou Le Mystérieux Voyage de Marie-Rose, c’est au choix. Alors que je ne savais même pas ce qu’était un librettiste, c’est vous dire si j’étais motivé donc.

Méditation Horizontaliste II par Gilles Mizou-Misou RapaportMéditation Horizontaliste II par Gilles Mizou-Misou Rapaport

Il m’accueillit avec reconnaissance et beaucoup d’espoir dans un appartement qu’il louait mais qu’il n'occupait pas vraiment, pris qu’il était dans les bras d’une muse, qui avait son propre nid douillet d’où il ne sortait que rarement. L’endroit semblait parfait pour créer cette histoire à destination des enfants, une audience dont je me sentais proche, en ayant été un moi-même quelques années auparavant. Ce bon plan tombait à merveille pour moi, sans emploi que j’étais maintenant car comme je l’ai dit plus haut je voulais devenir capitaine d’un navire et voguer sur les flots, ohé, ohé matelot !

Cet appartement était situé à Cagnes-sur-Mer. Je pourrais m’arrêter là, tellement cela veut tout dire. Enfin, si on connaît Cagnes-sur-Mer. Comme il y a sans doute parmi mes lecteurs certains qui ne se sont encore jamais trouvés prisonniers de cette petite ville balnéaire coincée entre Nice et Cannes, je vais vous la décrire brièvement : pour résumer et ne pas vous faire perdre trop de temps c’est le Boulogne-Billancourt de la Côte d’Azur. C’est pas loin de là où ça se passe mais c’est pas là où ça se passe. Voilà. Et, au mois de janvier, c’est même plutôt Boulogne-sur-Mer que Billancourt. Idéal donc pour qui veut écrire un conte de fée et donner de la joie aux enfants et à leurs parents lors de la première, prévue, excusez du peu je ne me mouche pas avec le coude, au théâtre de verdure de Nice. On allait bien rire.

De facture moderne à la sauce des années soixante-dix, glaciale et sans âme (le sol était d’un carrelage gris, j’en ai toujours des cauchemars), il était doté d’une terrasse immense (on aurait pu y planter quatre tentes Quechua et par conséquence logistique y loger seize migrants sans problème s’ils n’étaient pas trop nourris ce qui est rarement le cas), surplombant le port de plaisance où se trouvait, je le savais, le bateau qui n’attendait que moi pour larguer les amarres.

Dès que possible j’allais me mettre en quête de mon futur armateur, en chantonnant du Hugues Aufray pour me donner un genre qui colle à mes ambitions. En attendant, j’avais un livret de conte musical à écrire. Très vite, j’eu l’idée de trois enfants qui, en entrant dans un placard contenant une faille spatio-temporelle, remontent le temps pour découvrir les origines de la musique. Très simple, quatre tableaux et une dizaine de morceaux plus tard, j’allais t’emballer ça en deux coups de baguette magique, ou de cuillère à pot si vous avez faim, on n’allait pas en faire toute une histoire. J’avais un titre, « Voyage au bout de la note » (j’en suis toujours très content, merci), Éric à la musique, on allait casser la baraque au mois de juin suivant. La suite, on la connaît, j’allais partir à l’aube, à la barre d’un voilier en teck pour les Îles sous le vent et accomplir ainsi mon destin de navigateur écrivain. La vie c’était simple à cette époque-là, c’était vraiment mieux avant.

L'oeuf ou la poule ? par Gilles Caspian RapaportL'oeuf ou la poule ? par Gilles Caspian Rapaport

Au mois de mai, je retournais à Paname, après quatre mois passés dans l’enfer Cagnois. Je ne verrai jamais ma Grande Œuvre sur scène, ni ne partirai en sifflotant du Renaud pour des aventures au goût salé comme les vahinés. Mon arrivée sur le port n’avait pas soulevé l’enthousiasme attendu parmi les propriétaires de catamarans qui ne m’avaient pas laissé une seule chance de hisser la grand-voile, le musicien était aux abonnés absents la plupart du temps (putain d’amour, c’est une vacherie pour les librettistes) et personnellement je déprimais à force d’écouter en boucle Aznavour, Sinatra et l’intégrale de Danny Elfman.

J’avais aussi envie d’accompagner plus avant Celle que j’accompagne depuis, si je veux être franc du collier avec vous.
Putain d’amour, c’est une vacherie pour les librettistes. Et les marins.

🎶 Play-scriptum : En écrivant cette chronique, je me faisais du bien aux oreilles avec les retours de Justice et leur hymne disco Neverender et celui des Libertines avec un Run Run Run de belle facture rock’n London ! Sans oublier le Grace des Idles qui m’a bercé sur quelques belles siestes de ce dernier mois.

A la prochaine, Camarade. D’ici là je te souhaite le meilleur.A la prochaine, Camarade. D’ici là je te souhaite le meilleur.